Que sont devenus les enfants de Garches ?

Le service d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches, a fermé ses portes cet été. Si l’AP-HP se félicite aujourd’hui du transfert de l’unité, les parents témoignent d’une situation inquiétante pour la prise en charge médicale de leurs enfants.

Qu’en est-il aujourd’hui des enfants cancéreux soignés par l’équipe médicale du Dr Delépine ? Cette petite unité de dix lits, qui défend depuis trente ans une approche individualisée des traitements et s’oppose à « l’inclusion systématique des jeunes patients dans des essais thérapeutiques », a fermé ses portes le 7 août dernier.

Dans un climat où la tension n’avait d’égale que la crainte des parents de voir disparaître les traitements prodigués par l’équipe de Garches. Une fermeture « à la hussarde », selon Nicole Delépine, alors que le projet médical de l’unité était protégé depuis 2004 par un contrat avec le ministère de la Santé. En vue d’un transfert dans le service de pédiatrie du Pr Chevallier, à l’hôpital Ambroise Paré. « A moins de 5 km de là où les enfants sont soignés », rassurait alors Marisol Touraine, début juillet, alors que des parents entamaient leur 13e jour de grève de la faim. « Ceux aujourd’hui soignés à Garches continueront de l’être de la même manière, mais pour le reste, les méthodes de traitement de cette unité médicale n’ont fait l’objet d’aucune évaluation scientifique. C’est un risque » expliquait la ministre. En d’autres termes, les pratiques du Dr Delépine ne sont pas conformes aux recommandations des autorités de santé, seuls ceux soignés à Garches continueront de bénéficier des mêmes traitements une fois transférés.

L’AP-HP PROPOSE DES PRISES EN CHARGE PERMETTANT D’ASSURER LA CONTINUITÉ DES SOINS

Vendredi dernier, l’AP-HP publiait un bilan positif de la prise en charge des patients, estimant avoir tenu ses engagements en proposant des solutions au cas par cas selon les volontés des familles : « L’AP-HP a fait appel au réseau des oncologues pédiatres de l’hôpital Trousseau, de l’Institut Curie, de l’Institut Gustave Roussy pour estimer la gravité des situations, traiter les cas les plus urgents, et s’assurer de l’expertise des équipes choisies par certaines familles.» Les 26 mineurs qui nécessitent des soins sont aujourd’hui pris en charge dans différents hôpitaux, sur Paris ou en province, ou dans des Centres de lutte contre le cancer(Institut Gustave Roussy, Curie). Les 101 patients adultes peuvent, s’ils le souhaitent, bénéficier d’un suivi à Paul-Brousse. Deux familles ont demandé que la continuité des soins soit assurée par le Dr Delépine (en retraite depuis cet été mais pouvant exercer), deux autres par un médecin de ville, un seul patient n’a pas indiqué pour l’instant son choix. « Le Pr Chevallier a consacré toute son énergie à orienter et proposer à tous les patients des prises en charge permettant d’assurer la continuité des soins », conclut le communiqué de l’AP-HP.

A en juger les témoignages des parents auprès d’Ametist, l’association qui les représente, les conditions de prise en charge de leurs enfants ne sont pas au rendez-vous pour permettre la continuité des traitements de Garches, « à moins de 5 km », comme promis cet été. Le site d’Ambroise-Paré, centre de proximité, ne peut réaliser de chimiothérapie qui nécessite une hospitalisation de l’enfant, mais uniquement « des traitements ambulatoires et la prise en charge des intercures », comme en atteste le courrier d’un oncologue de l’institut Curie adressé à plusieurs parents. Pour Hélène Godfrin, maman d’Eline, c’est le « premier gros mensonge de l’AP-HP : Le service de Nicole Delépine avait des moyens et des compétences uniques en France. On a transféré un centre de référence sur un centre de proximité », qui n’est pas adapté pour assurer la continuité des soins. Certains parents jonglent aujourd’hui avec deux hôpitaux: l’un dédié aux chimios et l’autre aux intercures. La prise en charge des enfants entre deux cures (alors que leurs défenses immunitaires sont au plus bas) semble aussi poser problème à Ambroise-Paré: personnel non formé à certaines manipulations, air non filtré dans les chambres, manque de personnel, repos difficile au sein d’un service de pédiatrie…

LAURENCE GODFRIN: “LAISSER MA FILLE TROIS SEMAINES SANS CHIMIO REVIENDRAIT À LA TUER!”

Plus grave, des parents témoignent d’une rupture de soins chez leur enfant. C’est le cas d’Eline, qui n’a pu être accueillie à Ambroise-Paré le jour où elle devait recevoir sa chimiothérapie, et dont le premier rendez-vous proposé par un des centres recommandés (l’hôpital Trousseau), tombait vingt jours plus tard. «Trois semaines, dans le cas de ma fille, c’est tout un cycle de chimiothérapie. Sa tumeur peut doubler en dix jours. C’est comme si je la tuais ! », témoigne sa mère. Dans l’urgence, elle a contacté le Dr Delépine qui a prescrit une chimiothérapie orale.

Quant à la poursuite des chimiothérapies de Garches (traitements éprouvés et adaptés à l’état clinique de l’enfant), l’association qui représente les parents fait état d’une « continuité partielle », ce qui soulève chez les parents de nombreuses questions quant à la qualité de la prise en charge de leurs enfants. Plusieurs d’entre eux font part d’échanges démoralisants avec leurs nouveaux oncologues. « Ils ont le sentiment qu’on condamne sans appel leur enfant», rapporte Laurence Godfrin, qui cite le cas d’une jeune patiente condamnée aux soins palliatifs par plusieurs oncologues avant d’atterrir à Garches, où son état a été stabilisé. « L’équipe de Nicole Delépine avait prévu encore trois chimios pour elle. Les oncologues du nouveau centre ont fait comprendre aux parents qu’elle n’avait aucune chance et leur ont proposé de la faire entrer dans une étude de stade 1. Là, on n’est plus dans le soin, on est dans la recherche ! »

LES PARENTS NE RETROUVENT PAS L’APPROCHE PERSONNALISÉE DONT LEUR ENFANT BÉNÉFICIAIT À GARCHES

Selon les familles, les oncologues imposent de nombreux examens avant d’administrer la « chimio de Garches » aux enfants. Les parents se mettent parfois en quête d’un autre centre de référence pour qu’un oncologue accepte de faire la cure dans un délai plus court. L’association témoigne que lorsque les mêmes traitements sont appliqués, c’est une simple photocopie de la dernière cure pratiquée à Garches qui sert de base : des « traitements défigurés » par les habitudes de fonctionnement des nouveaux sites. Ce qui entraîne, selon elle, « une diminution des doses presque automatique et une perfusion sur une plus courte durée, modifiant la tolérance et l’efficacité ». Les parents ne retrouvent pas non plus l’adaptation du traitement en fonction de l’état clinique de leur enfant, gage de réussite selon eux de l’approche personnalisée de l’équipe de Garches.

Par ailleurs, les parents déplorent que malgré les promesses du Pr Chevallier, aucun d’entre eux n’a pour le moment été accepté, comme ça se faisait à Garches, dans les Réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), où médecins et oncologues discutent du traitement du patient. Pas plus qu’il n’a été possible au médecin choisi par les parents d’assister à ces fameuses réunions où se joue la prise en charge médicale de leur enfant. Enfin, hors de question pour les oncologues de bénéficier de l’avis des médecins de Garches ou de Nicole Delépine.

LA MENACE DE LA DESTITUTION DE L’AUTORITÉ PARENTALE

Laurence Godfrin, inquiète, reprend : « Et si on n’est pas d’accord avec l’avis de la RCP, que se passera-t-il ? On sera prié d’aller voir ailleurs ! Mais où ? Tous les centres appliquent les mêmes protocoles ou les mêmes essais thérapeutiques.» Ces familles ont le sentiment qu’on les ramène aujourd’hui vers les centres qu’elles ont fui. Elles ont presque toutes atterri dans l’unité du Dr Delépine, la plupart du temps grâce au bouche-à-oreille, parce qu’elles refusaient les traitements innovants pour leurs enfants, c’est-à-dire des molécules dont on teste l’efficacité et la toxicité dans le cadre d’essais thérapeutiques. « Avant, on avait le choix, on avait un ailleurs. Aujourd’hui, on n’a plus “d’ailleurs”», poursuit la mère d’Eline, qui tente de contenir son émotion lorsqu’elle évoque, en cas de refus d’un traitement par les parents, la menace de destitution de l’autorité parentale qui plane au-dessus de leurs têtes.

Les familles ont rendez-vous le 29 septembre au Conseil d’Etat. Elles demandent la suspension de la décision de fermeture du service d’oncologie pédiatrique de Garches jusqu’à ce qu’il soit statué sur la légalité de cette décision. Afin que leur soit rendu, disent-elles, le droit pour leur enfant d’être soigné comme elles l’ont choisi.

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