Affaire Ashya King, une résonance particulière
Affaire Ashya King : les blogs en sont témoins
Malaga, le samedi 6 septembre 2014 – Peut-être est-ce parce que l’histoire commença, omniprésente, répétitive, violente à défiler sur les écrans des chaines d’information en continu en même temps que celle du nourrisson de quatre mois, tué par son père à l’occasion d’une « punition », que l’affaire Ashya King nous est apparue tout d’abord comme une nouvelle illustration de la déraison de certains parents, de leur aliénation, de la maltraitance la plus cruelle dans laquelle les familles peuvent parfois sombrer. L’enfant, cinq ans, atteint d’une « tumeur au cerveau » répétaient les médias du monde entier, avait été « enlevé » par ses parents de l’hôpital de Southampton où il était soigné. Présentée comme des « Témoins de Jéovah », la famille était par cette seule qualification suspectée de vouloir priver ce petit garçon agonisant de soins essentiels pour d’absurdes convictions religieuses. Dès lors, pour cet enfant nécessitant une assistante médicale constante et dont la batterie alimentant l’alimentation entérale pouvait s’épuiser rapidement, une chasse à l’homme était engagée.
Kidnappeur ou parents désespérés tentant le tout pour le tout ?
Mais au fil des heures, alors que des petits films postés sur internet par l’un des frères de l’enfant présentaient la situation sous un jour très différent, l’affaire Ashya King semblait bien moins certainement l’illustration des conséquences dramatiques des croyances sans conscience. Dans une de ces vidéos : « Il explique que les parents avaient cherché à l’étranger un traitement de radiothérapie utilisant des protons (une prontothérapie) que le National Health Service britannique n’était pas en mesure de proposer. La seconde vidéo détaille l’équipement que la famille avait acheté pour assurer à Ashya le même traitement qu’à l’hôpital, y compris un nouveau fauteuil roulant », résume le journaliste et médecin Jean-Yves Nau sur son blog. Dès lors, la tonalité des médias traitant cette affaire, surtout en Grande-Bretagne, se modifia totalement. Concentrées sur les parents, les attaques se portèrent alors sur la police et son éventuel excès de zèle. A l’heure où nous écrivons ces lignes, même si des zones d’ombre persistent quant aux conséquences des traitements envisagés par l’hôpital de Southampton (qui auraient eu pour effet de laisser l’enfant dans un état végétatif selon le père) ou encore sur l’aide proposée ou non par les médecins britanniques pour tenter un autre traitement, il semble que la justice tant britannique qu’espagnole ne soit désormais plus si convaincue de la dangerosité des parents pour l’enfant. Le mandat d’arrêt britannique a été levé et les parents ont été libérés par la police espagnole qui les avait interpellés quelques jours plus tôt (et qui avait alors pu constater que la sonde naso-gastrique continuait de fonctionner). On saura également dans deux jours si la mesure de tutelle décidée au moment de l’arrestation de la famille est levée.
Autoritarisme médical
Au-delà de cet épilogue judiciaire et de l’émotion soulevée (qui a valu en Grande-Bretagne jusqu’à l’intervention du Premier ministre, qui a lui-même perdu un enfant), l’affaire a suscité de nombreux commentaires et réflexions. En France, l’affaire aura notamment eu une résonnance particulière alors que depuis plusieurs semaines une poignée de parents d’enfants atteints de cancer se battent pour le maintien d’un service proposant une prise en charge en marge des protocoles établis. « Cela n’est pas sans rappeler le combat que mènent chez nous des parents suite à la fermeture du service d’oncologie pédiatrique de l’hôpital de Garches » analyse ainsi l’auteur du blog Hippocrate et Pindare. Chacun trouvant facilement dans les spasmes de l’actualité des résonnances avec les sujets qui le taraudent, l’auteur de ce blog, médecin généraliste, voit dans cette affaire une nouvelle manifestation de l’autoritarisme médical, l’un de ses thèmes de prédilection. « Voilà le fond du problème : les parents n’ont pas « obéi » aux médecins qui souhaitait le garder. Qui plus est, ils ont transgressé l’interdiction médicale. Les médecins ont donc saisi la justice accusant les parents de faire courir à leur enfant un danger mortel. Qu’y-a-t-il de présupposé dans cette action : que l’enfant certes gravement malade allait être guéri par les médecins de cet hôpital et que la soustraction de l’enfant par les parents mettait en péril sa guérison et même sa vie immédiate. Que les experts médicaux qui ont agi disent la réalité, qu’ils doivent être de ce fait obéis. (…) Or il semble que la réalité soit tout autre. (…) Cette histoire n’est-elle pas tout simplement la lutte de parents contre le système médical qui veut imposer son « expertise « . Les services de police considèrent qu’ils n’ont fait que leur travail, je cite le commissaire adjoint Chris Shead : « Mais je préfère être critiqué sur notre détermination à agir plutôt que d’avoir à expliquer pourquoi un enfant est mort. Nous avons des experts médicaux qui nous disaient qu’Ashya était en grave danger. Dans ces conditions, je ne vais pas présenter d’excuses « . Et ces « experts médicaux » les interroge-t-on ? Ont-ils quelque chose à expliquer ? Vont-ils présenter des excuses ? C’est très improbable. Des excuses pour quelles raisons, nous diront-ils. Et pourtant ne sont-ils pas responsables de ce qui s’est passé ? N’ont-ils pas surestimé les dangers sur la vie de l’enfant ? Et par là même provoqué cette réaction policière ? N’ont-ils pas menti par omission ou simplification extrême ? Ils n’ont sans doute pas admis que des parents s’opposent à leur autorité médicale » analyse le médecin auteur d’Hippocrate et Pindare.
« Girouettes médiatiques »
Cette critique d’un certain « autoritarisme » médical n’est pas ce qui retient le plus l’attention de Jean-Yves Nau. Il y voit pour sa part une source d’inspiration pour illustrer un sujet qui l’interpelle fréquemment : l’inconstance et l’inconscience médiatiques. Il raconte ainsi comment au moment où l’alerte est donnée : « Les radios répétaient en boucle qu’il était en danger de mort imminente, qu’il ne pouvait se déplacer qu’en fauteuil roulant, qu’il était dans l’incapacité de communiquer, qu’il ne vivait plus que grâce à une sonde bientôt périmée » relate-t-il, rappelant encore comment le 30 août le Sun et le Daily Mail « hurlaient : ‘Trouvez ce garçon’ » et constatant avec dépit : « On a les feuilletons radiophoniques que l’on mérite ». Mais à la faveur des vidéos postées par la famille d’Ashya, du récit du père soulignant sa volonté de gagner l’Espagne pour y vendre une propriété lui appartenant afin de payer un nouveau traitement pour son fils, il observe : « En Grande-Bretagne, les girouettes médiatiques tournent ». Il remarque encore le difficile exercice de communication des représentants de la police britannique se refusant à présenter des excuses ou relève encore le message du Premier ministre David Cameron observant : « Je suis évidemment persuadé que chaque parent cherche ce qu’il y a de mieux pour son enfant ».
Petite leçon juridique
Illustration des conséquences délétères de l’autoritarisme médical pour Hippocrate et Pindare, petite leçon sur le tourbillon médiatique pour Jean-Yves Nau, l’affaire, on ne s’en étonnera pas, cette affaire a inspiré à un autre blogueur, le magistrat Jean-Pierre Rosen, président du tribunal pour enfants de Bobigny, une tirade sur la responsabilité parentale. Puisque la famille d’Ashya a dans son périple traversé la France, gagnée par ferry, le procureur de la République de Cherbourg a cru bon de préciser « qu’on ne pouvait pas soigner un enfant contre le gré de ses parents ». Fallait-il en conclure qu’en France l’affaire n’aurait pas donné lieu à une telle chasse à l’homme ? Jean-Pierre Rosen (qui a écrit une première note avant de connaître l’épilogue de l’affaire) nous invite à plus de prudence dans l’interprétation du droit. « Le propos n’a pu qu’être mal compris car la réalité est autre » assène-t-il avant de détailler : « Bien évidemment les titulaires de l’autorité parentale ont le droit et le devoir de veiller à la santé de leur enfant en leur prodiguant ou en leur faisant prodiguer les soins qui lui sont nécessaires. L’autorité des parents sur leur enfant est une liberté fondamentale. Mais cette liberté souffre des limites au nom de l’ordre public, du bien commun et des valeurs supérieures comme la protection due à la personne humaine. (…) En l’espèce s’il y a un enjeu vital pour l’enfant – et tel semble être le cas pour ce petit bonhomme anglais – peu importe les raisons – idéologiques, religieuses, ou autres – qui veulent que les parents refusent les soins, la justice française est en droit d’intervenir (art. 375 et s. code civil). (…) S’il y a urgence, les médecins n’ont besoin d’aucune autorisation, parentale ou judiciaire. Nécessité commande. Ils engageraient même leur responsabilité pénale en ne prodiguant pas les soins qui s’imposent et risqueraient 5 ans d’emprisonnement (art. 223-6 C. pénal). Ce dispositif ne date pas d’hier. Il avait notamment été élaboré pour faire face aux parents Témoins de Jéhovah qui refusaient des transfusions sanguines. (…) Peu importe que l’enfant soit anglais. Il est sur le territoire français. Il suffit qu’il ait moins de 18 ans – âge de la majorité civile en France – et ne soit pas émancipé. On est dans les clous pour Ashya. Cette solution s’explique non seulement parce qu’il y a un danger en l’espèce vital, mais aussi parce que les parents font un mauvais usage de leur autorité parentale. Au nom de convictions religieuses respectables certes – liberté d’opinion oblige – ils dénient le recours à un traitement qui peut soigner et peut être sauver leur enfant » décrivait Jean-Pierre Rosen (qui à l’époque ne connaissait pas les subtilités de l’affaire). Voilà en tout cas des précisions judiciaires qui conduiront peut-être l’auteur d’Hippocrate et Pindare à penser que l’autoritarisme médical est en France bien protégé, et qui laissent à penser que Jean-Yves Nau pourrait avoir dans notre pays matière pour analyser les revirements de la sphère médiatique. Ouf.
Pour découvrir les analyses de certains blogueurs sur l’affaire Ashya, vous pouvez vous rendre sur :
http://jeanyvesnau.com/2014/09/01/lincroyable-chasse-europeenne-pour-emprisonner-les-parents-dun-enfant-cancereux-2/
http://hippocrate-et-pindare.fr/2014/09/02/malaise-et-interrogations/
http://jprosen.blog.lemonde.fr/2014/08/29/on-peut-soigner-un-enfant-contre-la-volonte-de-ses-parents-576/
Aurélie Haroche